Comment s'est faite la transition vers Sapiens ou comment troubler la quiétude de mes nuits...

Publié le 10 Février 2017

La lecture d’un nombre conséquent d’ouvrages traitant de l’évolution du genre humain n’a pu répondre à ce questionnement (allez, soyons emphatique !) quasi-métaphysique, qui bouleverse la quiétude de mes nuits : quand et comment est "apparu" l’homo sapiens « tel que nous le connaissons » ?

Je m’explique.

On sait, encore que cela demeure assez vague, qu’homo sapiens (c’est-à-dire « nous ») est "apparu" en Afrique entre 200 et 100 mille ans av JC.

 

 

Première question : ce passage s’est-il fait « brutalement » (par saut évolutif, comme dirait Gould) ou de façon très graduelle à partir d’homo erectus (ou des suivants, plus ou moins intermédiaires, tels Homo Eidelgbergesis) ? Autrement dit, une femelle erectus, ou "pré-sapiens" a-t-elle, un beau jour, accouché d’un « mutant » qui, compte tenu des avantages adaptatifs liés à ses mutations, a «disséminé » ses gènes de façon plus efficace que ses concurrents? Ou bien y a-t-il eu une quantité phénoménale de petites mutations sur des centaines voire des milliers de générations qui, très graduellement, petit à petit, ont donné naissance à l’homme dit "moderne" ? Quand d’ailleurs peut-on parler d’un homo sapiens « tel que nous le connaissons », c'est-à-dire doté de l’ensemble de nos caractéristiques, en particulier cérébrales ? Par ailleurs, les sapiens archaïques étaient-ils véritablement semblables à nous (je ne parle pas de la robustesse de leur squelette) ? Un homme de Cro-Magnon d’il y a 100.000 ans est-il en tout point un homme moderne, ou bien l’évolution a-t-elle continué depuis 100.000 ans, notamment dans le sens d’une plus grande intelligence ? Bref, un enfant Cro-Magnon élevé aujourd’hui au sein d’une famille « standard » aurait-il les mêmes chances de remporter le prix Nobel qu’un enfant né aujourd’hui ?

Il est curieux de noter que la plupart des ouvrages (de vulgarisation) sont assez concis, vagues, voire confus, sur la question. Ils évoquent « l’apparition de l’intelligence ». Ils parlent de « révolution ». Mais comment la transition s'est-elle exactement produite ?

 

Je vous livre, du haut de mon ignorance, une hypothèse toute personnelle :

L’intelligence constitue un avantage évolutif particulièrement considérable. Probablement l'avantage le plus efficace de la création. D’abord car il permet, grâce aux capacités prodigieuses d’adaptation qu’il confère, de survivre plus longtemps et en conséquence de bénéficier d'une probabilité plus importante de transmettre ses gènes. Il s’agit d’une illustration de la sélection naturelle. Ensuite, parce que l'intelligence est identifiée par le partenaire sexuel comme un atout capital dans la survie de la progéniture : l’intelligence permet en effet de mieux préserver ou protéger les petits, de mieux nourrir la cellule familiale et permettra à ces petits, à leur tour, de mieux survivre et se reproduire. Il s’agit d’un parfait exemple de sélection sexuelle.

Ainsi, de façon très continue et graduelle, la lignée des hominidés est allée vers toujours plus d’intelligence, celle-ci étant « sélectionnée » par le biais non seulement de la sélection naturelle, mais aussi de la sélection sexuelle.

Une telle hypothèse pourrait suggérer qu'il n’y a pas eu de saut évolutif entre erectus (notre plus proche ancêtre) et sapiens (c'est à dire nous), mais bien une très lente évolution de l’un vers l’autre. Cela voudrait dire aussi que les sapiens d’il y a 200 mille ans étaient peut-être d'avantage proches des erectus d’il y a 300 mille ans que des sapiens contemporains. Cela voudrait dire également que Cro-Magnon (pour simplifier, le représentant de sapiens d'il y a environ 50.000 ans) n’était pas non plus aussi proche de nous. En tout cas, peut-être différait-il du point de vue de l’intelligence. Cela voudrait dire enfin que l’évolution, chez les hominidés, dans le sens d’une intelligence toujours plus développée, continue encore aujourd’hui (malgré les apparences !).

Si mon hypothèse telle que présentée ci-dessus est fausse, comment expliquer alors le saut évolutif, particulièrement considérable, entre les erectus et les sapiens?

Un assez large consensus parait en réalité exister sur la très grande proximité (sinon l’identité) entre Cro-Magnon et l’homme moderne, tant sur le plan anatomique que, même si cela reste très délicat à prouver, sur le plan intellectuel.

Pourquoi pas.

Mais dans ce cas, il me semble nécessaire d’en tirer certaines conclusions.

 

1ère conclusion : cela veut dire que l’évolution s’est en quelque sorte « bloquée » il y a 50.000 ans. Pourquoi pas là aussi. Mais peut-on si facilement affirmer que sélection naturelle et sélection sexuelle ne s’exercent plus sur l’homme moderne depuis 100 ou 50.000 ans? On pourrait certes considérer que l’homme est parvenu à un "cul de sac évolutif", une sorte de summum biologique. Par exemple que le cerveau aurait atteint des limites physiques que sa physiologie rendrait désormais infranchissables. Intuitivement, je doute cependant d’une telle hypothèse. L’évolution a toujours plus d’un tour dans son sac et j’ai bien du mal à croire à la perfection évolutive, sauf à introduire des considérations religieuses qui relèvent d’un autre genre.

La station debout a constitué en son temps une véritable révolution évolutive. Celle-ci expliquerait, du moins en partie, grâce à l’élargissement du bassin qu’elle permet, l’accouchement de nourrissons dotés d’un volume cérébral en quelque sorte « disproportionné » et par conséquent la continuelle augmentation du volume du cerveau chez les hominidés (si l'on exclut le cas des Néandertaliens). Une telle augmentation du volume du cerveau aurait permis le développement d'une « intelligence supérieure » (bien que la corrélation entre  taille du cerveau et intelligence soit en réalité très relative).

S’agissant tout d'abord de la sélection naturelle, dans la mesure où la technologie a largement permis à sapiens de s’affranchir des contraintes de son milieu, il me parait plausible que ses effets soient devenus faibles, voire marginaux. S’agissant en revanche de la sélection sexuelle, je suis beaucoup plus réservé. Et c’est à ce niveau, selon moi, qu’intervient l’intelligence (je passe ici volontairement sous silence le problème complexe de sa définition).

Je souscris à ce titre à la théorie des « gènes mignons ». Tous les signes extérieurs de beauté, ou plus exactement de « jeunesse » sont sélectionnés, dans la mesure où ils sont autant d’indices d’une meilleure fécondité. Chez la femelle homo sapiens, la blondeur, les jambes longues, les grands yeux, la pâleur, la régularité du visage, la poitrine ferme et fournie, la taille fine etc. Or je pense que l’intelligence est également un "gène mignon", fortement favorisé par la sélection sexuelle. Une telle sélection explique que les capacités intellectuelles soient devenues, et de très loin, le trait le plus marquant de l’évolution de notre espèce. D’ailleurs, je ne crois que très peu au hasard évolutif. Si un caractère particulier d’une espèce triomphe de la sorte, c’est généralement qu’il constitue un avantage évolutif sélectionné d’une façon ou d’une autre.

Sur ce point, il me semble d’ailleurs qu’il existe, chez sapiens, une différence essentielle entre le mâle et la femelle. En effet, le male de notre espèce recherche effectivement la « beauté » physique chez sa partenaire, une telle « beauté », comme indiqué plus haut, correspondant en réalité à un ensemble de signaux attestant des capacités reproductrices de ladite partenaire. Une telle "sélection" favorisent les gènes mignons, ce qui pourrait expliquer le développement de certains caractères sexuels secondaires très marqués chez sapiens (ainsi en serait-il du volume disproportionné des mamelles ou encore des lèvres). En revanche, la femelle sapiens, elle, s’attarde de façon plus relative sur l'aspect physique du male. Ou en tout cas de moins en moins depuis que la « force brute » du male, sa virilité, sa dominance physique, semble être devenue un peu moins un gage de survie, non seulement pour la femelle elle-même mais surtout pour sa progéniture. Ainsi, ce qui permet au male sapiens d’attirer la femelle, c’est certes sa virilité (l’archétype du male viril et musclé, pour simplifier à l’extrême) mais, d’une façon plus générale, les multiples signaux plus ou moins conscients qui l’identifient comme étant potentiellement dominant et donc efficacement protecteur. Et c’est là que l’intelligence est perçue par la femelle comme un très grand avantage. Elle permet en effet au male de s’adapter très efficacement à son milieu et donc d’assurer la survie de sa famille, d’accéder le cas échéant au pouvoir (aujourd’hui à l’argent), bref, de parvenir à la dominance sociale. Celle-ci semble aujourd’hui à ce titre mieux garantie par l’intelligence (et ce qu’elle permet d’obtenir) que par la force brute.

Bref, pour toutes ces raisons, il me semble difficile d’imaginer que l’évolution se soit brutalement interrompue à Cro Magnon. Celle-ci aurait ainsi continué, grâce essentiellement à la sélection sexuelle.

 

2de solution : 50.000 ans constituent une durée bien trop courte pour que les forces de l’évolution darwinienne puissent s’exprimer, ou en tout cas être visibles. Il me faut reconnaitre qu’un tel argument parait particulièrement convainquant.

Mais si les cro-magnon d'il y a 100 ou 50.000 ans et l’homme d'aujourd'hui sont parfaitement identiques, le problème n’est en réalité pas résolu, mais seulement repoussé. En effet, le passage à l’homme, que j’appellerai moderne, a-t-il été brutal ou continu ? Quel élément fondamental distingue les derniers erectus des premiers sapiens? Et quelle est la cause de ce passage ? On évoque souvent le langage. Explication séduisante. Le langage constitue en effet clairement un avantage adaptatif majeur. Il permet en particulier une meilleure coopération des individus et donc une survie collective bien plus efficace. Mais quand le langage est-il apparu ? Il s’agit en réalité toujours plus ou moins de la même interrogation. Le langage est-il apparu brutalement ou graduellement ? Je penche plutôt pour un mélange des deux : la transformation du larynx par mutation subite aurait pu rendre possible une gamme très étendue de sons, mais le développement du langage se serait effectué, lui, très graduellement. Par exemple, au début, par des imitations des bruits de la nature... Mais que de questions, que d’hypothèses. Bref, la quiétude de mes nuits n’est pas prête de revenir….

Rédigé par Duacsap

Publié dans #Histoire, #Préhistoire, #Paléontologie, #Sciences

Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article